Une Blog-série par Mathilde Morgenthaler

Ode à la Curiosité

Épisode 3/4 :

Comment préserver la curiosité ?

 

La curiosité n’a pas besoin d’être préservée. On ne peut la produire ni la détruire; elle est et demeure un potentiel latent, une graine en hibernation dans notre être, qui n’attend que des conditions printanières pour germer et pousser. Elle n’a pas besoin que nous agissions directement sur elle, mais sur son environnement. Pour permettre à votre curiosité, votre intelligence, votre bonheur de fleurir, entourez-vous d’un terreau nourricier, tout simplement.

Maintenant, je voudrais attirer votre attention sur ce à quoi je pense quand je dis “terreau nourricier”. Beaucoup de personnes s’imaginent que tel jeu “réveille l'intelligence”, parce qu’il est bien foutu, à croire qu’il est lui-même “intelligent”. Qu’il faut environner l’enfant de couleurs, de textures, de concepts, d’une foultitude d’information… Que la qualité et la richesse du “matériel” est prépondérante dans le développement de nos facultés intellectuelles. Rien de “faux” à cela, mais je souligne le fait que notre contexte culturel nous fait concevoir la “nourriture riche”, la gelée royale de notre progéniture, dans le matériel. De beaux jouets en bois, une “bonne” école (chacun met ce qu’il veut derrière), des activités extra-scolaires variées, une alimentation “équilibrée” où chaque gramme vitaminique pèse dans la balance. C’est le règne de la croyance “ce dont j’ai besoin est à l’extérieur de moi”. Et c’est vrai ! Mais seulement à moitié.

Dans d’autres pays, d’autres cultures, où les gens n’ont pas accès à l’abondance matérielle que nous connaissons, et détiennent des trésors que nous n’avons pas, qui ont de quoi nous faire pâlir d’envie. Ces trésors sont leur richesse affective, relationnelle, leur savoir-vivre-ensemble, qui les nourrit bien plus que toute les plats les plus délicieux du monde ne saurait nous nourrir. Cette richesse remplit leurs besoins émotionnels, tandis que nous, occidentaux, sommes presque tous carencés et déséquilibrés.

Notre richesse à nous se produit au prix de grands efforts pour être consommée (et donc doit être reproduite de nouveau, ce qui s’apparente à une forme de supplice sans fin tel que connu de notre ancêtre Prométhée), la leur est à l’image d’une bougie qui peut donner du feu à des milliers d’autres sans perdre une once de son propre feu (le bonheur ne diminue jamais en étant partagé, il ne fait qu’augmenter - Bouddha).

Maintenant, ne croyez pas que notre parti pris culturel soit meilleur que le leur, ou le leur meilleur que le nôtre. Pour la proportion de personnes qui souffrent psychologiquement chez nous, il y a la même proportion de personnes qui souffrent physiquement chez eux. Je ne vous conseille pas de choisir entre le cœur ou la raison, ni entre la peste ou le choléra.

Soyez comme vous êtes et nourrissez-vous de ce que vous aimez, tout simplement ! Vos enfants goûteront au même plat que vous.
Que vous aimiez être productif, accomplir de grandes choses, ou être heureux en vivant l’instant présent, soyez-le !

Donc, reprenons, pour revenir à nos boutons (de roses) comment permettre à la curiosité de fleurir ?

Plus vous serez épanouis, plus vous serez curieux. Et plus vous serez curieux, plus vous vous épanouirez.
Mais ne cherchez nullement à vous forcer :”je dois me motiver pour être plus curieux”. Non non et non, ce n’est pas DU TOUT comme ça que ça marche.
Personne ne vous a jamais dit qu’on ne fait pas pousser une plante en tirant dessus ?
Offrez-vous du temps. Oui, du temps ! Libre, évidemment.
En une heure de temps libre, regardez tout ce que vous avez fait et pensé. Alors, pas curieux, vous ?  Si vous continuez de croire que vous ne l’êtes pas, qu’est-ce qui, à votre avis, vous a poussé à penser et à faire tout ça ?  
Quoique vous fassiez, ne culpabilisez pas de faire ce que vous faites. De toute façon vous le ferez (ça nourrit l’un de vos besoin) ! Alors faites-le et ne gardez que le plaisir.

Le plaisir, justement, j’y viens.
Comment vous présenter la curiosité sans vous parler de son compagnon, son jumeau, son indispensable… le plaisir.
Ce serait malhonnête de ma part, ou alors c’est que je frise l’inconscience.
Mais comment vous en parler ?
Tout ça, c’est comme une recette.
Mettez du plaisir dans une grande (la plus grande que vous pouvez) plage de temps libre, et vous obtiendrez : du bonheur, de l’accomplissement, de l’épanouissement, de la curiosité, de l’intelligence, de l’amour, de la créativité…
Oui, c’est une recette où les fruits sont plus nombreux que les ingrédients (vous êtes un arbre, je vous rappelle).
Et puis ils sont interchangeables parce que c’est un cycle auto-générateur, pas une chaîne de production.

Mais bon, vous me direz, c’est quoi cet article qui nous mène par le bout du nez dans tous les sens, sans aller nulle part.
Hé bien, je dois vous avertir : nous n’allons nulle part.

Si vous considérez l’amour, le bonheur, l’épanouissement ou la curiosité comme une destination à atteindre, vous ferez du surplace.
Ca ne marche pas comme ça, je ne peux pas vraiment vous dire pourquoi, mais je suis sûre de ce que j’avance. Mais je vous rassure : vous avez le droit d’avoir envie d’être heureux, c’est même la plus importante des envies (les enfants seront d’accord avec moi) ! Comment, alors ?
C’est simple, le bonheur n’est pas quelque chose que vous pouvez obtenir.
On ne dit pas “avoir heureux”. On dit “être heureux”. Nuance !

Donc, écoutez-moi bien : soyez heureux, et... vous serez heureux ! C’est votre seule chance ;-)
(Ne croyez pas que je me moque de vous. Je sais, ce n’est pas toujours simple, ça peut même vous sembler impossible quand le terreau est pauvre ou toxique. Normal, c’est impossible. Alors, offrez-vous un meilleur terreau, vous êtes une plante quand même respectez-vous un peu. Notez bien qu’il y a votre environnement extérieur, mais que vos émotions et vos pensées sont le terreau avec lequel vous êtes le plus directement en contact…)

Donc je résume :
Bonheur, curiosité, intelligence, talent, créativité, bonté fleurissent ensemble et fanent ensemble. Tous ensemble.
Si vous voulez favoriser la curiosité de votre enfant (et avec, le déploiement de ses talents personnels)... n’agissez pas sur votre enfant, mais écoutez-le, et écoutez-vous. Répondez à ses besoins et aux vôtres. C’est tout !
Votre enfant, à votre contact, s'imprègne de vos qualités (et du reste aussi bien sûr ;-)).
Ah oui, et ne le mettez pas dans un cadre où il ne pourra pas s’écouter, où les autres personnes (adultes, enfants) ne sont pas en mesure de s’écouter.
Faites le chemin pour vous-même, à votre rythme. Votre enfant vous devancera, alors cherchez à comprendre ce qu’il vous montre :  c'est votre prochaine étape à franchir. Vous pouvez légitimement le tenir en haute estime.
 

Comment permettre à la plante de pousser ?  Comment laisser pousser le désir de connaître, de comprendre, de sentir ?

“D’abord, ne pas nuire”...
Comment ne pas nuire ? Hé bien, on pourrait par exemple essayer de respecter les 3 besoins psychologiques de base⁽¹⁾:

  • Le besoin d’appartenance (le sentiment d’être relié à des personnes qui sont importantes pour soi),

  • Le besoin d’autonomie (le sentiment d’être l'origine ou à la source de ses actions. Cependant, agir de façon autonome ne veut pas dire agir seul. Paradoxalement, il est presque impérativement nécessaire d’être avec d’autres pour ressentir réellement son autonomie, notamment quand il sera possible de percevoir qu’ils respectent nos choix, même s’ils ne les partagent pas.)

  • Le besoin de compétence (sentiment d’efficacité sur son environnement, ce qui stimule la curiosité, le goût d’explorer et de relever des défis. Là encore, il est difficile de ressentir réellement sa compétence sans quelque part sa « confirmation » par d’autres.)
     

Comment élever des enfants curieux de tout ?

Oui, les enfants… Dans quel environnement pensez-vous qu’ils puissent garder intacte leur belle créativité, écouter leurs instincts, jouir de ce que la vie leur offre, développer leur talent ?
Un peu comme vous et moi, et un peu comme les animaux, bref comme tout le monde, non ?

Les jeunes enfants sont non seulement dans leurs actes mais aussi et avant tout, dans leur esprit, particulièrement actifs, particulièrement curieux. Leurs stimuli internes semblent être particulièrement nets pour eux, quand on voit la vitesse et la précision de leur réaction quand survient une idée, un événement, une demande de l'entourage. Leur corps réagit en moins d'une seconde, guidé par l'énergie émotionnelle. Quant il s'agit de faire un choix, ils réfléchissent posément, et soudain affirment joyeusement leur certitude que ce sera cette carte là et pas une autre parmi les 50 devant eux. Ils se posent des questions. “Pourquoi ci ?”, “pourquoi ça ?”...

Et pendant ce temps, combien d'entre nous, adultes, ne savons pas qui nous sommes, avons du mal à nous décider, ou pédalons le nez dans le guidon, en évitant de trop réfléchir ? Quelle faculté de notre esprit s'est endormie pour que notre existence soit devenue plus fade que lorsque enfants, nous jouions ? Comment avons nous appris à ne porter qu'un demi intérêt à ce que nous faisons, écoutons, ressentons ? Et pourquoi continuons-nous ainsi, dans la mesure où cela semble clairement entraver notre bonheur ?

A mon avis, quelque chose s'est passé...! ;-) Il y a dû avoir quelque chose dans notre environnement qui nous a amenés à nous adapter dans ce sens... Certains pourraient dire que nous avons été “formatés”, “conditionnés”, “corrompus”. Je ne vois pas d'autre explication… :-)

Si nous voulons préserver la curiosité des enfants, il faut juste être présent pour eux, respecter et soutenir leurs choix, les laisser être, les laisser faire, se rendre disponibles à leurs demandes, à leurs questions, à leurs émotions. Tout simplement ! Ils absorbent eux-même tout ce sur quoi leur attention se focalise. Il est hautement improductif de chercher à canaliser leur attention intense. C’est écrit dans leurs gênes de résister aux influences extérieures. Ils ont bien raison de suivre leur instinct ancestral, grâce auquel il ont déjà appris à marcher et à parler de A à Z… wow, mais en fait ils ont de sacrés moteurs ces p’tits loulous !

Évidemment, je ne plébiscite pas le fait de “tout” laisser faire, certaines choses sont non-négociables comme le respect ou la sécurité. Mais quand on a fait le point sur nos demandes impératives envers l’enfant, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas si nombreux. Tout le reste devrait être une histoire d’entente entre deux parties (ou 3, 4, 50 - la démocratie a de beaux jours devant elle).
Nous devons parfois faire preuve de beaucoup de créativité pour trouver des accords qui respecte les besoins de tout le monde… Et les êtres libres n’en manquent pas.

Il est extrêmement important de s’offrir un très large éventail de choix - et d’offrir cela à notre enfant. Choisir, implique nécessairement de faire appel à cette force qui est en nous : le désir de vivre et de connaître, qui prend sa source dans les profondeurs bouillonnantes de notre être, là où jaillit tout élan, toute envie.

Choisir entre deux choses, c’est déjà mieux que ne pas choisir du tout. Entre 3, 4, 5 possibilités, c’est déjà mieux. Mais pour réellement “devenir qui l’on est”, il faut être capable de voyager dans un espace infini de choix possibles, arpentant aussi bien les terres de la raison, qu’en naviguant sur les mers de l’intuition.

Alors laissons nos enfants choisir ! Offrons à nos enfants beaucoup, beaucoup de temps non structuré. Ils exploreront à leur façon (c’est à dire la meilleure qui soit pour eux) une immensité de possibles.
Mais ne les abandonnons pas dans l’immensité (qui peut effrayer autant qu’elle peut nous faire entrer dans le “flow”), restons ouverts, présents, disponibles pour l’enfant, qu’il puisse venir chercher aide ou refuge quand ils le souhaite.

A bientôt pour le 4e et dernier épisode, où je vous dirai pourquoi je pense que la curiosité est si importante :-)

⁽¹⁾source : http://jean.heutte.free.fr/spip.php?article160

Retrouvez ici les épisodes précédents :

1 - Le Rêve
2 - Ouvert comme un objectif