Ode à la Curiosité, une blog-série de Mathilde Morgenthaler

2ème Épisode (2/4)

Ouvert comme un objectif


Il y a des chercheurs qui se sont amusés à mesurer l’activité dans le cerveau générée par le sentiment d’empathie, ou compassion (je vous passe les détails sur tout ce qu’ils ont découvert). Ayant localisé les zones du cerveau correspondant à cet état, ils savent désormais mesurer le degré d’empathie expérimentée à un instant X par une personne X. Ils ont d’ailleurs constaté que certaines personnes utilisent plus ou moins leurs circuits neuronaux correspondants à l’empathie (je suis sûre que vous l’avez constaté par vous-même ;-)). 

Et bien, cela me plairait que l’on fasse la même chose pour la curiosité ! Je suis certaine que l’on pourrait reconnaître les zones cérébrales activées par la curiosité, afin de comprendre quelles conditions la favorisent.

En quoi est-ce que les personnes chez qui cet état est plus intense, plus récurrent se différencie des autres ? Est-ce que cela leur permet d’être plus intelligents, plus heureux, plus ouverts aux autres, plus libres dans leur pensée et dans leur expression ?

Dans le dernier épisode, j’avais été sidérée de voir tout un groupe d’enfants scotché à une fenêtre. Ils observaient une pelleteuse faire son travail depuis 20 minutes.

Quelle était cette force qui les maintenaient collés à la vitre ?

Cette force quasi magnétique, dont l'attraction était si puissante qu’il aurait été irréalisable, à ce moment là, d’amener ces enfants à porter leur attention sur autre chose. En fait, il aurait fallu qu’il se passe quelque chose de plus surprenant, plus intriguant encore pour les distraire de leur occupation, comme l’apparition d’un gâteau géant tout illuminé, ou l’entrée fracassante d’une reine des neiges en chair et en os, où la chute d’une météorite crevant le plafond (ce genre de choses que l’industrie du commerce et du divertissement sait créer pour attirer les yeux et les oreilles).  

Mais en l’absence d’événement plus extraordinaire que la présence de cette pelleteuse hors du commun, quiconque aurait voulu fermer le volet ou éloigner les enfant, aurait déclenché une réponse émotionnelle aussi intense que l’était leur désir voir la fabuleuse machine.
 
La curiosité… Un phénomène naturel, et pourtant si puissant…

La curiosité, ça peut être beaucoup plus qu’une attitude molle à accorder notre attention à qui s’ingénie à la capter.

La curiosité est capable de prendre toute notre énergie. Lorsque rien n’entrave son émergence, elle apparaît sous la forme d’une attirance, d’un désir, d’une envie, de la plus subtile à la plus impérative. Toute intention, choix de porter notre attention sur une chose et non sur une autre, est de la curiosité en action.

La curiosité peut ouvrir instantanément nos sens. Avec beaucoup de finesse, ceux-ci se règlent à la distance focale idéale pour capter les données désirées. La force qui nous anime canalise notre attention, nos sens s’aiguisent pour capter la lumière, l'objectif s’ouvre. Appui sur le déclencheur. Une myriade d’information s’infiltre alors dans la chambre noire, vide, de notre conscience. Tout s’organise dans le cerveau, une image est créée, un ressenti unique s’imprime en nous.

De même que la création naît d’un vide intense, la curiosité est un appel d’air qui nous pousse à extraire des informations de notre environnement pour les loger en nous.

La création émerge, par nécessité, d’un vide désirant, elle n’a besoin d’aucun travail, d’aucun effort pour exister. Elle est un désir de goûter, sans peur, à la part d’inconnu pressentie dans l’instant. Quiconque est habité par ce désir transmet, sans le savoir, un peu de cette façon d’être aux autres.

Nous sommes tous nés curieux. Sinon nous n’aurions jamais appris à marcher, à parler, nous n’aurions pas grandi, ni évolué. La curiosité est la condition sine qua non de tout apprentissage. C’est à travers son expression qu’on reconnaît notre sensibilité unique. Elle prend la forme de centres d’intérêts, de passions, de recherches, mais aussi de façons de nous comporter, de communiquer, de réagir et de penser.
Heureux sont ceux qui vivent des curiosités intenses et très personnelles, les poussant à ressentir, explorer, créer, comprendre… leur permettant de bien se construire et de bien construire leur vie.

Quand un environnement ne fait pas obstacle à la libre expression de notre curiosité, se connaître, rester soi-même ou le re-devenir est facilité. Cependant, dans un environnement faisant quotidiennement obstacle à notre curiosité naturelle, il est difficile de rester en contact avec elle. Celle-ci ne peut alors s’exprimer que dans le spectre restreint de ce qui nous est demandé. L’environnement pose à notre curiosité des limites qualitatives (ne soyez curieux que dans les domaines demandés, les autres étant inutiles voire même dangereux), et des limites quantitatives (soyez suffisamment curieux pour bien faire votre travail, mais ne le soyez pas trop non plus, cela perturberait le cadre).
Le seul moyen de libérer davantage la curiosité, est de s’immerger dans un environnement où les obstacles (relationnels ou organisationnels) se font moins nombreux.

L’autre jour, j’ai vu une voiture rouler dans un couloir de bus parisien. Des pigeons se trouvaient sur son chemin. Ne les voyant pas réagir, j’ai bien cru qu’ils allaient se faire écraser quand ils finirent par s’envoler nonchalamment. Je fus sidérée par la mollesse de leur envol, alors qu’ils étaient à deux doigts de perdre la vie. Ces animaux, dans un environnement urbain surchargé de perceptions violentes (bruits, lumières, mouvements, odeurs), avaient été contraints de se désensibiliser pour s’adapter - sans cela ils seraient sûrement morts de stress.

Je regardai les humains autour de moi... Il en allait de même pour eux. Certaines personnes ont leur coupe bien trop pleine pour éprouver une véritable soif. Une personne réellement animée d’une intense curiosité, dotée d’une concentration soutenue, absorbe tout ce qu’elle peut, s’abreuvant jusqu’au moindre vent d’atome présent dans son environnement. Elle est comme un animal sauvage, dont les sens en alerte sont si fins qu’elle “sent” la présence du danger, ou de la source où s’abreuver, à des kilomètres à la ronde. Son hyper-sensibilité instinctuelle lui donne des chances optimales de survie, pour elle et sa progéniture.

La curiosité est une force merveilleuse , je l’adore, elle est totalement sauvage, indépendante dans ses choix. Nous pouvons l’appeler, et non la forcer, ni la soumettre. C’est en elle que réside la souveraineté de l’individu !

Vous pouvez forcer mille personnes à faire mille choses, mais vous ne pourrez forcer quiconque à s’intéresser véritablement à quelque chose ㅡsi quelqu’un s’y intéresse, cela vient purement de ce qu’ils est. Vous pourrez les amener sur une douce pente afin qu’ils vous écoutent puis partagent vos idées. Mais s’ils ne veulent pas, ils ne veulent pas. Vous ne pouvez contrôler la direction de leurs pensées.

Conclusion : la curiosité est plus forte que tout.

Plus forte que nous aussi parfois !

C’est pourquoi on l’a depuis longtemps dépréciée, ce “vilain défaut” qui nous rappelle que notre existence est issue de ce merveilleux désir de connaître ㅡpéché originel.

Qui dit curiosité, désir de connaître, d’explorer, d’approfondir, de pratiquer, dit plus de bonheur, d’intelligence et d’épanouissement. C’est le plus beau des trésors, la plus grande beauté qui puisse s’exprimer en chacun de nous, et que nous nous devons absolument de protéger amoureusement chez chaque enfant !

Dans le prochain épisode, je vous montrerai comment préserver votre curiosité et celle de vos enfants :-)

A bientôt !